Le 15 mars 1944, j’étais à la maison à Uffel quand un gars du groupe Yann – je crois qu’il s’appelait Gaget – est arrivé pour me dire qu’il y avait un blessé répondant au pseudo de « Grand » à évacuer sur Emondeaux.
Il m’explique que le même jour vers 8h00 du matin, leur camp avait été attaqué par une colonne de GMR* et que l’un des leurs, trop avancé, avait été grièvement blessé.
Il venait donc demander des volontaires pour aller le chercher. Il me dit qu’il était passé à Chancia sans que personne ne veuille y aller.
J’ai appelé mon frère et le Marius Platre qui ont été tout de suite d’accord pour venir avec moi sans hésiter une seconde.
On est parti à la tombée de la nuit pour Emondeaux avec une charrette à bras sur laquelle on avait disposé une échelle.
On a pris tout d’abord la route de Thoirette puis un raccourci qui montait par les bois. En arrivant, on a trouvé le blessé dans une grange. Il agonisait.
Il était très grand et méritait bien son surnom.
On a été obligé de le coucher sur l’échelle avant de le hisser sur la charrette. Il était conscient mais il souffrait. Il devait avoir trois ou quatre balles dans le ventre.
On l’a descendu par les bois et à chaque secousse, « Grand » geignait de douleur. On en a bavé, car la pente est rude à cet endroit-là et c’était à la fin de l’hiver.
Il faisait froid et il y avait encore un peu de neige.
On est enfin arrivé à Uffel et on a déposé le blessé chez mes parents. Il y passa une partie de la nuit.
Je suis resté avec Marius près du blessé alors que mon frère enfourchait son vélo et partait chercher le docteur de Dortan. C’était le Docteur Daudier qui s’est installé à
Saint-Claude après la guerre.
Le Docteur Daudier a suivi Charlot.
Après avoir examiné le blessé, il a tout de suite vu qu’il était perdu. Il nous a dit qu’il fallait se dépêcher de l’emmener à l’hôpital car il risquait de mourir à la maison.
On a trouvé un taxi en urgence. Finalement c’est le taxi Jeannin de Dortan qui est venu le chercher avec tous les risques que cela représentait car les GMR étaient partout à Dortan et Oyonnax.
On a appris plus tard que « Grand » était décédé le lendemain ou le surlendemain à l’hôpital et que son nom était Bloch.
En 1995 j’ai reçu une lettre de l’Association Nationale des Résistants de l’Air (ANRA) qui nous proposait à Marius, à mon frère Charles et à moi, de recevoir la médaille des résistants de l’air en récompense des services rendus à la cause de la Résistance. On nous a dit par la suite que « Grand » avait dans sa famille proche, quelqu’un de bien placé dans l’Armée de l’air, ce qui expliquerait que l’on ait reçu cette lettre, à laquelle je n’ai d’ailleurs jamais donné suite…